No. 02 — Hors-thème

Le contraire des politiques en logement abordable: l’augmentation des campements de personnes en situation d’itinérance à Montréal

Véronic Lapalme, Université de Montréal

Date de publication: 2024-12-10

Résumé

La crise du logement au Québec est une préoccupation croissante, marquée par une hausse des loyers, un manque de logements abordables et une mobilité résidentielle réduite, affectant particulièrement les ménages à faible revenu. Dans les dernières années, les expulsions pour rénovation se sont multipliées, tandis que les nouvelles constructions privilégient les logements de luxe au détriment des logements sociaux, notamment en raison du désengagement de l'État (Gaudreau, 2022). Parallèlement, l'itinérance augmente, exacerbée par cette crise, avec une hausse importante du nombre de personnes en situation d'itinérance au Québec. Les politiques publiques favorisent la construction de logements abordables par le marché privé, souvent inadéquats pour les plus vulnérables, résultat d'un tournant néolibéral entamé dans les années 80 (Reiser, 2020). La financiarisation et la gentrification aggravent l'exclusion des moins fortunés, entraînant d'importantes hausses de loyers et des expulsions, rendant ainsi la ville inabordable. Cela expose des enjeux de droit à la ville et appelle à une révision des politiques actuelles en matière de logement pour des solutions plus équitables et durables.

Mots-clés: vitrine, logement, justice sociale, philosophie politique, droits civils et politiques, droits socio-économiques

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Introduction

La crise du logement au Québec, marquée par une hausse des loyers et un manque de logements abordables, affecte particulièrement les ménages à faible revenu. Ces dernières années, les expulsions pour rénovation se sont multipliées, tandis que les nouvelles constructions privilégient les logements de luxe au détriment des logements sociaux (Gaudreau 2022). Parallèlement, de plus en plus de personnes se retrouvent en situation d’itinérance. Les politiques publiques actuelles, favorisant la construction de logements abordables 1 par le marché privé, se révèlent souvent inadéquates pour les moins fortunés, reflet d’un tournant néolibéral (Reiser 2020). L’objectif de cet article est de mieux comprendre les récentes politiques en habitation au Québec et leur effet sur le phénomène de l’itinérance et des campements de personnes en situation d’itinérance (PSI) à Montréal. En laissant la porte ouverte au marché capitaliste, l’État réussit-il réellement à rendre les logements plus abordables pour les moins nantis de notre société ?

Mise en contexte

La réalité québécoise en ce qui concerne le logement locatif est plus que préoccupante. Un bon nombre de Québécois-es subissent, à divers degrés, ce qu’on hésite désormais à appeler une « crise du logement », tant cela est un problème structurel (Tranjan 2023). Cette situation se manifeste de manière plus ou moins sévère: un choix et un accès à un logement, des mobilités résidentielles de plus en plus restreintes, une part du logement dans le budget des individus qui explose (au point de devenir le premier poste de dépense budgétaire des ménages), des évictions, etc.

Le prix des loyers augmente à vue d’œil, on observe une tendance marquée par une diminution des logements abordables pour la population disposant de moins de capital et de plus en plus d’expulsions pour rénovation. Parallèlement, les nouvelles constructions de logements à Montréal montrent une préférence notable pour les logements de luxe et un déficit de logements sociaux, en partie dû au désengagement de l’État dans ce domaine (Gaudreau 2022). Ces éléments accentuent les inégalités sociales et la précarité, rendant difficile pour les ménages modestes de trouver un logement décent et abordable.

Crise de l’itinérance et campement de PSI

L’itinérance, un problème majeur dans tous les territoires, comprend une diversité de situations influencées par les conditions politiques et économiques actuelles. C’est le résultat d’un processus où les individus peinent à maintenir un logement stable en raison de divers facteurs structurels, institutionnels et individuels (Grimard et al. 2023).

Le plus récent dénombrement au Québec rapporte une augmentation de 44 % du nombre de PSI depuis 2018, dont 47 % sont situés à Montréal ==(MSSS, 2023)==. Par ailleurs, la « crise du logement » actuelle exacerbe le phénomène de l’itinérance, créant ainsi une certaine forme de débordement : l’itinérance est de plus en plus visible dans l’espace public, l’offre des centres d’hébergement d’urgence est limitée et de plus en plus de personnes optent à s’installer en campement. De plus, on observe une augmentation de la présence de campements de PSI partout dans la province 2.

Politiques publiques en logement

Au Québec et à Montréal, les politiques publiques en vigueur visent principalement la construction de logements abordables par le marché privé. Selon ces politiques, le prix d’un logement abordable est fixé à 10 à 20 % en dessous de sa valeur marchande pour une durée limitée, tandis que le loyer d’un logement social est fixé à 25-30 % du revenu du locataire, sans limite de temps.

Depuis l’avènement du tournant néolibéral dans les années 80, on observe un déficit d’investissement public dans le logement social, dont la situation actuelle en matière de logement est un symptôme (Reiser 2020). On observe une croissance de la participation des acteurs privés dans la production urbaine, au détriment de l’intervention de l’État ainsi qu’une gestion néolibérale des villes Pinson (2020).

En somme, la disparition des programmes de logements sociaux et publics coïncide avec une crise importante de l’abordabilité au Québec, malgré une forte demande pour des alternatives de logement. Nous sommes face au principe étatique « selon lequel l’intervention de l’État devait se limiter à combler les carences du marché et ne devait pas viser à s’y substituer » (Gaudreau 2022, 42).

Les limites du logement abordable

Récemment, les financements alloués au logement abordable via les politiques en vigueur ont connu des problèmes quant à la notion d’une réelle abordabilité des logements. Il est d’ailleurs pertinent de mettre en question le coût et la durée limitée d’un logement considéré abordable dans ces politiques. Dans le contexte d’inflation et la hausse des prix du logement des dernières années, est-ce que les formules actuelles sur le logement abordable répondent aux besoins de la population?

De l’abandon du logement social au logement abordable

Le logement social fut à un moment un projet central de l’État-providence et a représenté une part importante des politiques en logement en Europe et en Amérique du Nord (Reiser 2020). Contrairement au logement abordable, le coût d’un logement social est établi selon la capacité des locataires à payer et n’est pas fixé selon les prix du marché (Gaudreau 2022). Reiser (2020) met en évidence le rôle du logement social en tant que mécanisme de régulation de l’offre totale, cherchant à réduire les écarts entre les prix pratiqués sur le marché et la capacité financière de la majorité des individus. À ce stade, il semble pertinent de revenir sur la situation actuelle de logement et de se demander quelles mesures pourraient ralentir, voire bloquer considérablement, la hausse des loyers.

Politiques d’habitation et itinérance

Par ailleurs, plusieurs sont préoccupés par la hausse du nombre de PSI au Québec, et d’un autre côté, le Bureau de la vérificatrice générale du Canada (2022) a soumis un rapport soulignant qu’ils ne savaient pas si leurs efforts avaient amélioré les résultats en matière de logement pour les PSI, malgré d’importantes sommes investies.

Rappelons que l’État, en misant sur le logement abordable, se fie au marché pour combler les besoins en matière de logement. En misant sur le marché, il place également une certaine confiance dans les dynamiques capitalistes.

Laisser la porte ouverte au marché privé

Dans une dynamique marchande, les promoteurs et développeurs immobiliers qui investissent visent un certain rendement. Les logements de type abordable permettent un rendement plus bas que d’habitude puisqu’il y a réduction du prix marchand. L’implication du marché capitaliste dans le logement a son lot d’effets négatifs sur les populations moins fortunées. Les prochaines lignes aborderont le phénomène de la gentrification et de la financiarisation du logement.

La gentrification

La gentrification, présente depuis les années 1980 (Van Criekingen 2021), s’est mondialisée au cours des dernières décennies. Selon Gaudreau et al. (2021), dans les grandes métropoles étudiées, notamment à Montréal, la gentrification a gagné en intensité grâce à l’intervention de nouveaux acteurs immobiliers.

La gentrification désigne l’arrivée de classes plus aisées dans des quartiers populaires, entraînant le déplacement des résidents populaires vers des zones moins attractives, en raison de la différence de revenus entre les anciens habitants et les nouveaux arrivants (Chabrol et al. 2016).

Le quartier s’embourgeoise et devient de moins en moins abordable pour les plus pauvres, les commerces s’adaptant aux pratiques des nouveaux arrivants (Ley 1996). En apercevant une occasion de faire de l’argent, les propriétaires procèdent à l’expulsion des locataires pour rénover leurs logements et les louer à plus haut coût.

La financiarisation du logement

La financiarisation du logement devient de plus en plus une réalité à Montréal. Une recherche récente démontre qu’environ 11,7 % des logements sont financiarisés (St-Hilaire, Brunila, et Wachsmuth 2023). Cette notion désigne l’implication croissante des entités financières telles que les sociétés de capital-investissement, les fonds de pension et les sociétés immobilières dans le marché du logement. Ces entreprises acquièrent, gèrent et érigent des logements dans le cadre de leur stratégie d’investissement afin de générer des rendements financiers optimaux pour leurs actionnaires (August 2022).

Enfin, un rapport récent du Bureau du défenseur fédéral du logement ==(BDFL, 2022)== stipule que la financiarisation est une menace à l’abordabilité du logement dans le pays.

Un enjeu de droit à la ville

En somme, la gentrification et la financiarisation du logement permettent aux investisseurs et aux propriétaires de faire plus de profits . La gentrification entraîne une hausse de la valeur des propriétés, permettant aux propriétaires d’augmenter les loyers puisque la valeur des propriétés augmente. En expulsant un locataire pour effectuer des rénovations, ils peuvent ainsi imposer des loyers plus élevés. Dans les processus de financiarisation, l’objectif est de faire du profit rapidement et cela passe également par une hausse des coûts des loyers.

En déplaçant les individus de leurs lieux de vie et d’ancrage, on y voit des inégalités sociospatiales ainsi que l’érosion du tissu communautaire. Ces phénomènes contribuent à l’exclusion des personnes les plus pauvres de leurs lieux d’appartenance et de leur quartier. Cela les pousse à chercher un logement dans des quartiers abordables, souvent éloignés des zones centrales (Sterlin et Trussart 2022).

Il est question de défendre l’idée qu’en laissant le marché privé faire, on y retrouve des enjeux de droit à la ville. Lorsque les quartiers deviennent inabordables pour les classes moins aisées, ces derniers sont privés de leur droit d’occuper ces espaces et de participer pleinement à la vie urbaine (Lefebvre 1968). Leur expulsion entraîne une ségrégation spatiale où seules les personnes ayant les moyens financiers peuvent résider dans ces quartiers. À travers les expulsions, certain-es se retrouvent en situation d’itinérance, faute de trouver un logement à petit prix. Dans ces circonstances, on peut se demander : qui a droit à la ville?

Pendant ce temps, les prix des logements continuent de monter en flèche, ce qui impacte les calculs gouvernementaux concernant le logement abordable, car ils se basent sur le loyer médian des alentours. Si on continue via nos politiques publiques de permettre au marché du logement à but lucratif de construire et d’investir dans le logement, le gouvernement ne fait que contribuer à la hausse des prix des loyers.

Conclusion

Dans ce texte, nous avons exploré les récentes politiques en habitation des gouvernements et plus particulièrement du volet traitant du logement abordable. On constate un désinvestissement des gouvernements du logement social pour y intégrer plutôt l’idée du logement abordable, laissant notamment la place aux dynamiques du marché capitaliste. Ces constats concordent avec les idéaux du courant néolibéral (Pinson 2020). Le marché capitaliste engendre des effets négatifs pour les personnes détenant moins de capital, ce qui conduit à des inégalités sociospatiales et à des enjeux liés au droit à la ville.

En introduction, nous avons émis le questionnement : est-ce que le logement abordable est la solution à la crise du logement et à réduire l’apparition des campements de PSI dans la ville? Force est de constater que les gouvernements devraient réviser leurs politiques pour notamment réduire les inégalités et offrir du logement réellement abordable. En conclusion, compte tenu des limites du logement abordable et de ses implications, il semble pertinent d’envisager une autre approche : l’exploration de politiques publiques favorisant l’innovation et le logement hors marché pourrait représenter une piste intéressante pour l’avenir.

Bibliographie

August, Martine. 2022. « La financiarisation du logement au Canada : Un rapport de synthèse. » Le Bureau du défenseur fédéral du logement.
Bureau de la vérificatrice générale du Canada (BVGC). 2022. « Rapport 5 à 8 de la vérificatrice générale du Canada au Parlement du Canada. » Gouvernement du Canada. https://www.oag-bvg.gc.ca/internet/Francais/parl_oag_202211_05_f_44151.html.
Canada, Statistiques. s. d. « Abordabilité du logement ». Gouvernement du Canada. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/82-229-x/2009001/envir/hax-fra.htm#bd.
Chabrol, Marie, Anaïs Collet, Matthieu Giroud, Lydie Launay, Max Rousseau, et Hovig Ter Minassian. 2016. Gentrifications. Amsterdam.
Gaudreau, Louis. 2022. « Aider le marché plutôt que s’y soustraire. Petite histoire des politiques publiques d’aide à la construction des logements. » Revue Possibles, 42‑49. https://revuepossibles.ojs.umontreal.ca/index.php/revuepossibles/article/view/472/492.
Gaudreau, Louis, M-A Houle, et Gabriel Fauveau. 2021. « L’action des promoteurs immobiliers dans le processus de gentrification dans le Sud-Ouest de Montréal. » Recherches sociographiques 62 (1) : 123‑49.
Grimard, Carolyne, Sarahlou Wagner-Lapierre, Elizabeth Prince, Véronic Lapalme, et Sonia Blank. 2023. « Architecture + itinérance: pratiques inclusives pour une ville solidaire. » Montréal : Architecture sans frontières Québec.
Harvey, David. 2010. Géographie et capital: pour un matérialisme historico-géographique. Paris : Éditions Syllepse.
Junejo, Samir, Suzanne Skinner, et Sara Rankin. 2016. « No Rest for the Weary: Why Cities Should Embrace Homeless Encampments ». Seattle University School of Law. Consulté le 13 juin 2023. https://papers.ssrn.com/abstract=2776425.
Leblanc, Caroline, Kristelle Alunni-Menichini, Christine Loignon, et Karine Bertrand. 2023. « Habiter la rue: repenser notre réponse à l’itinérance. Rapport des résultats d’un événement de pensée systémique. » Bureau du défenseur fédéral du logement, Commission canadienne des droits de la personne.
Lefebvre, Henri. 1968. Le droit à la ville. 3ᵉ éd. Anthropos.
Ley, David. 1996. The New Middle Class and the Remaking of the Central City. Oxford University Press.
Pinson, Gilles. 2020. La ville néolibérale. PUF.
Reiser, Chloé. 2020. « Le logement social. » Dans Le capital dans la cité : Une encyclopédie critique de la ville. Amsterdam.
Sterlin, Marie, et Antoine Trussart. 2022. Gentriville. VLB Éditeur.
St-Hilaire, Chloe, Mikael Brunila, et David Wachsmuth. 2023. « High rises and housing stress: A spatial big data analysis of rental housing financialization. » Journal of the American Planning Association 0 (0) : 1‑15.
Tranjan, Ricardo. 2023. The Tenant Class. Between the Lines.
Van Criekingen, Mathieu. 2021. Contre la gentrification: la bataille des quartiers populaires. La Dispute.

  1. Selon Statistiques Canada (s. d.), un logement est considéré abordable lorsque les ménages paient moins de 30 % de leur revenu pour le loyer.↩︎

  2. Certaines PSI préfèrent vivre dans des campements plutôt que d’utiliser les services d’hébergement pour diverses raisons : certains services n’acceptent pas les animaux, les couples hétérosexuels, les personnes en état d’intoxication, et imposent des règles jugées trop strictes Junejo, Skinner, et Rankin (2016).↩︎