Philosophie et science-fiction
Pour le numéro de lancement de la revue Lampadaire, nous invitons des propositions de publication sur le thème : Philosophie et science-fiction. Les possibilités offertes par la science-fiction sont sans limites et peuvent fournir un terrain d’expérimentation inédit pour la philosophie. Avec ce numéro de lancement, nous souhaitons explorer l’intérêt de la grande variété de perspectives offertes par les écrits de science-fiction pour les grandes questions de la philosophie telles que le sens de la vie, l’éthique, notre rapport à la technologie, etc.
Les oeuvres de science-fiction explorant des thématiques philosophiques sont nombreuses. Nous pouvons penser à 1984 de Georges Orwell et Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley, deux histoires présentant des dystopies devenues classiques pour leur caractère prémonitoire. Ces oeuvres sont régulièrement citées dans des publications philosophiques ou utilisées dans l’enseignement de la philosophie. La simple évocation de 1984 suffit aujourd’hui pour critiquer certains comportements s’apparentant à du totalitarisme. Le roman Frankenstein de Mary Shelley, publié en 1818, qui est souvent considéré comme la toute première oeuvre de science-fiction, aborde plusieurs thèmes philosophiques importants. En présentant un savant fou créant la vie à partir de cadavres, le roman nous fait réfléchir sur ce qu’est la vie, mais aussi sur la responsabilité humaine face à ses capacités techniques. En même temps, le monstre de Frankenstein nous permet d’explorer les effets de la solitude et de la marginalisation sociale. Neuromancer de William Gibson, aujourd’hui considéré comme un classique du cyberpunk, décrit un univers futuriste où la technologie a considérablement transformé la réalité. Les personnages sont connectés à des réseaux virtuels et peuvent changer d’apparence et d’identité à volonté ce qui permet d’explorer les implications de cette technologie sur la construction de l’identité personnelle et sur les limites de la conscience humaine. L’intelligence artificielle y joue également un rôle central et permet de réfléchir à notre relation avec celles-ci. Ces technologies futuristes étant maintenant à notre portée, ce type d’histoires permet de mieux cerner leurs enjeux et dangers. Les exemples d’oeuvres de science-fiction abordant des thématiques philosophiques ne manquent pas.
À l’inverse, nous pouvons également trouver de nombreux philosophes dont les thèmes peuvent être liés à la science-fiction. Par exemple, nous pouvons penser à l’hypothèse du malin génie de Descartes qui nous aurait créés que pour nous tromper. Cette idée fut reprise par de nombreux auteurs dont Hilary Putnam qui proposa l’expérience de pensée du cerveau dans une cuve en 1981. Comment peut-on confirmer que ce qui nous entoure est bien réel ? Comment savoir que nous ne sommes pas dans un rêve ou un simple cerveau dans une cuve? Dans son oeuvre Simulacres et Simulation, Baudrillard précise une idée similaire en décrivant un monde où les images et les informations sont devenues plus réelles que les objets réels, et où la réalité est devenue une simulation d’elle-même. Il décrit comment la technologie moderne a tendance à masquer la réalité derrière des images et comment cela affecte notre compréhension du monde. Il suggère que cela a tendance à réduire l’expérience humaine à une simple expérience de surface, et à rendre les individus passifs face à leur propre existence. Les soeurs Wachowski se sont largement inspirées de cette idée ainsi que du mythe de la caverne de Platon dans le film La Matrice, sorti en 1999, allant jusqu’à demander aux acteurs de lire le livre de Baudrillard. Le film décrit un univers où la réalité est en fait une simulation créée par des machines pour contrôler l’humanité. On retrouve dans ce film de nombreuses idées philosophiques qui ont marqué le cinéma et nourrit toute une génération de philosophes.
Il semble incontestable qu’il y ait une certaine porosité entre la philosophie et la science-fiction, l’un nourrissant l’autre et inversement. Ce numéro de la revue se propose donc d’explorer les relations possibles entre la science-fiction et la philosophie. Cette thématique ouvre grande la porte à de nombreux questionnements : le fictif peut-il nous approcher de la vérité ? Peut-on concevoir une éthique vraiment universelle malgré les possibles ? Quelles idées philosophiques mériteraient d’être explorées dans le cadre d’une oeuvre de science-fiction ? Que peuvent nous apprendre les oeuvres de science-fiction ? Notons également que la section Créative de la revue est ouverte à des textes de science-fiction explorant des thématiques philosophiques. Espérons que ce premier numéro de Lampadaire encouragera un échange riche et constructif sur la science-fiction et sa relation aux questions philosophiques.
Date de tombée : 15 octobre 2023